Chevelure et culture
Après des années d’attente fiévreuse, Lucille a enfin atteint le stade des « cheveux longs » ; mais lesdits cheveux, malgré leur longueur, n’en demeurent pas moins fins, incoiffables et hétérogènes (alternance de mèches raides comme la justice et d’anglaises), si bien que la seule coiffure présentable reste la natte, qui a le mérite de dissimuler les imperfections.
A chacun de ses passages, la coiffeuse rappelle que la chevelure de Lulu ne s’améliorera qu’à condition de les couper, afin qu’ils repoussent en meilleur état .
Un tel discours est parfaitement inaccessible à une petite fille de 7 ans, dont le modèle capillaire s’appelle Raiponce, et qui se voit enfin bien partie pour atteindre son Graal.
Il a fallu ruser : plaider la cause de Blanche Neige, dans l’espoir que cette dernière et son carré aux épaules détrônent l’idole Raiponce et son insondable bobine de tifs.
Il semblerait que le message soit enfin passé : Lucille se prétend disposée à sacrifier ses longues mèches de piètre qualité, pour favoriser une repousse que je lui dépeins de façon si attractive. Nous en parlions encore hier matin, et je lui rappelais encore une fois à quel point ses cheveux deviendraient épais, une fois libérés de leur longueur.
-« Tu vas voir, ils vont repousser en grosse touffasse », lui disais-je, joignant un geste évocateur à la parole .
-« Ah oui !! comme le Roi des Zoulous, là, tu sais… »
- « … »
-« Mais si, il habitait à New York, là, comment il s’appelle déjà ? »
Faisant turbiner mes associations d’idées à toute allure, afin de couper court à l’agacement que je sentais poindre chez Lucille, j’hasardai une réponse, sans conviction :
-« Basquiat ? »
-« Oui, voilà, Jean-Michel Basquiat !! »
-« Ha putain !!! tu connais Jean-Michel Basquiat !!! »
Plus jamais je n’ironiserai sur l’inanité des séances d’art visuel de l’école.
En revanche, concernant les cours d’anglais, à l’égard desquels j’observais jusqu’alors une neutralité non pas bienveillante mais suspicieuse, je commence à identifier leur effet pervers : Il y a quelques semaines déjà, lors de nos mythiques dictées quotidiennes, j’ai du convaincre Lucille que le mot « danse » s’écrivait avec un « s » et non un « c », que « dance », c’est de l’anglais alors que « danse » c’est du français..et hier, ce fut l’adjectif « magique » qui s’est retrouvé orthographié « magic » ! Je ne suis cependant pas persuadée que ces confusions soient à mettre sur le compte de l’école, dont les cours d’anglais semblent être essentiellement oraux, c’est peut-être bien la télé qui est à l’origine du phénomène. Dans le doute, je me félicite que la deuxième langue vivante étudiée soit l’arabe, là au moins, je suis tranquille, je n’en trouverai pas de fragments égarés dans les dictées !