La blague de la dictée
Il y a quelques semaines, Lulu est rentrée de l’école et nous a annoncé, avec toute la solennité dont elle aurait usé pour nous annoncer qu’elle allait partir en voyage scolaire chez les Martiens dans une soucoupe volante :
-« La maîtresse, elle a dit que demain on va faire une dictée ! »
Ma première réaction fut d’admirer la réactivité de cette administration : la Ministre donne une directive, et quelques jours après, la mesure est appliquée ! Waouh !
-« On a même des mots à apprendre pour demain, pour faire la dictée ! »
-« Super, et c’est quoi, ces mots ? »
-« Tapis, souris, ki-wi »
-« kiwi ? »
-« Non. Qui, et Oui »
-« Ah bon…et ben, ça va, elle n’a pas mis la barre trop haut, la maîtresse ! Il faut apprendre à écrire « oui » pour demain ?!! »
Stoppant là mon ironie, j’ai attendu le lendemain avec impatience, afin de connaître le corps de la dictée.
Ainsi donc, lendemain, même heure :
-Alors, Lulu, cette dictée, c’était quoi ? »
Lulu, un brin agacée :
-« Ben je t’ai dit ! Tapis, souris, qui, oui ! »
-« Oui, mais les phrases ? »
-« Ben y ‘a pas de phrases, la dictée, c’était « tapis-souris-qui-oui »
Paulo s’en étouffa de rire dans son poisson.
Pas moi.
Jusqu’alors, nous procédions à des dictées régulièrement, à la maison : Après quelques tâtonnements, j’avais trouvé le bon moment pour l’exercice, c’était l’heure de l’apéro ; nous nous installions donc, qui avec son verre, qui avec son cahier et son stylo, et nous travaillions nos accords noms-adjectifs, nos passés composés (« avec l’auxiliaire être on se prend la tête, avec l’auxiliaire avoir, y’a pas de lézard »), nous testions la maîtrise du « a » ou « à », du « ou » ou « où », du « quel » ou « quelle » ou « quels » ou « quelles », etc, sur un texte que j’avais préalablement mitonné aux petits oignons.
L’épuisement du quota d’alcool, en sonnant la fin des apéros, vit aussi péricliter ces émouvants instants de ferveur familiale que constituaient les dictées. A quoi peut parfois tenir l’instruction d’un enfant…
La dictée de la maîtresse agit sur moi comme un électrochoc.
Nous avons repris fissa les dictées « maison » quotidiennes : le créneau horaire a changé, c’est désormais juste après le repas du midi que la cérémonie a lieu. J’ai même gravi l’échelon supérieur, et instauré la notation de l’exercice (un point enlevé par faute, les fautes d’accent ne comptant pas.Encore). Jusqu’alors, je me contentais d’inscrire le nombre d’erreurs, comme on ne tirerait pas sur une ambulance, en somme.
Et à ma grande surprise, le nombre d’erreurs a notablement diminué depuis que je mets des notes. Je ne dis pas que cela ne peut pas être le fruit du hasard, mais tout de même, la coïncidence est troublante.
Tout ça pour dire qu’elle a raison, la Ministre : Une dictée par jour, voilà la solution. Elle aurait juste du préciser que c’était aux parents de s’y coller.